New-York Epidermis
Depuis 2013
« S’agissant de mémoire, il n’existe pas de vérité. Tous les souvenirs sont des reconstructions, notre mémoire est farcie de faux souvenirs, de choses que nous sommes pourtant certains d’avoir vécues. […] Nous croyons nous rappeler d’un moment, alors que nous l’avons seulement reconstruit dans notre tête, à force de revoir l’image… » 1
New-York, 19 octobre 2013. L’air est agité par les possibles, le ciel par les fantasmes et la ville par les opportunités. Je suis nouveau ici.
Je marche, je respire, j’ouvre les yeux. Tout danse, le cœur de la ville palpite. Les voitures et les piétons tracent et retracent les mêmes lignes, comme pour ancrer leurs sillons, de plus en plus fort, de plus en plus profondément.
Tout ce qui bouge semble passer sur la ville elle-même, sur sa peau.
Au milieu de ce mouvement incessant, je suis attiré par ce qui ne bouge pas. Là, sur l’épiderme urbain, tout se fige et se dessine à travers le temps ; par un geste volontaire, un accident, un abandon, une répétition, une violence, ou un désir…
Les murs sont les témoins privilégiés et discrets des énergies qui traversent la ville, et leur mémoire épidermique nous livre, crus, des albums d’instantanés intimes. Sans distinction, les époques, les styles et les voix se côtoient en strates de couleurs, de matières, de contrastes.
C'est au hasard des rues que j'ai volé ces histoires tatouées par le temps, dont j'ai ensuite brouillé les pistes par fragmentation et recomposition, créant ainsi de nouveaux dialogues entre elles.
Ces nouveaux récits, ni mensonges, ni exactes vérités, sont ensuite sérigraphiés à l’encre sur des voiles de papier. Une épreuve qui, au hasard des aléas techniques, révèle de nouveaux détails, en estompe d’autres. Le noir et blanc permet d’élargir le champ des possibles, en convoquant davantage l’imaginaire.
Pour retrouver les reliefs, les rides, les expressions de la ville, ces voiles de mémoire sont ensuite déposés puis marouflés sur des supports de bois, sortes de cartes topographiques, et en épousent les formes. Une nouvelle strate s’écrit, comme une légère distorsion de l’espace-temps.
Les murs ont retrouvé la mémoire.
« L’oubli a une fonction. Nous gardons en mémoire ce qui consolide nos croyances et nos valeurs. Ce tri a pour fonction de nous stabiliser. Mais cela a un coût: non seulement nous ne pouvons pas tout garder en mémoire mais, en plus, nous avons tendance à déformer nos souvenirs pour qu’ils se plient à nos besoins autobiographiques. » 1
Martial Van der Linden, «Notre mémoire est farcie de faux souvenirs», Le Temps, 3 mai 2013